26-07-2020, 06:18 PM
CHAPITRE VII
''Ad nauseam''
Quand Burydan repensait à son enfance, il se rappelait trois choses :avoir eu faim, froid, et mal.
Faim, parce que la chétive ferme où il vivait avec ses parents peinait à nourrir trois personnes. Surtout parce que son père vendait la plupart de ce qu'elle produisait au marché et allait boire les pécunes à la taverne.
Froid, parce que la petite futaie d'où ils tiraient leur bois de chauffage produisait assez peu, et ce ''peu'' était réservé pour chauffer la cuisine et la chambre de ses parents, attenante. Lui, à l'étage, grelottait. Et, malgré les trois couvertures dans lesquelles il s'enroulait, usées jusqu'à la trame et rapiécées, il sentait la bise venant des montagnes passer par les planches disjointes de ses volets.
Et mal, parce que son père avait le picrate mauvais. Il rentrait ivre tous les soirs, et s'en prenait d'abord à sa femme. Il l’insultait et la frappait jusqu'à ce que la pauvre tombe au sol, recroquevillée et geignante. Quelque fois ça suffisait, mais d'autres fois non. Burydan entendait les pas lourds de son père dans l'escalier, et il savait qu'il allait avoir droit à sa raclée. Son père faisait irruption dans sa chambre, le traitait de ''bon à rien'', ''bouche inutile'', ''fils de putain'' et commençait par le gifler, puis lui donnait des coups de poing avant d'enlever son ceinturon et de le fouetter jusqu'au sang.
La première fois que son père le battit, Burydan était encore tout minot, il se demanda quelle énorme bêtise il avait bien pu faire pour recevoir une telle correction. Il fit attention par la suite, faisant tout ce que son père lui disait, faisant même plus quand il le pouvait. Mais trois semaines plus tard, son père le frappa de nouveau.
Burydan savait qu'il n'avait rien fait de mal, et que son père le battait... pour rien. Pour se passer les nerfs. Il geignait, pleurait, gémissait, suppliant son père d'arrêter, lui disant qu'il lui faisait mal, et il vit sur le visage de son tortionnaire un rictus. Il prenait du plaisir à l'entendre le supplier. Aussi, Burydan se dit qu'il allait lui effacer ce rictus. De toute façon son père le battrait, mais il ne lui donnerait plus le plaisir de l'entendre le supplier.
Il s'entraîna à se faire mal et à rester stoïque, contractant ses muscles ou les relâchant, se frappant lui-même avec une badine et, un soir, il eut l'occasion de mettre sa méthode à l'épreuve.
Les pas lourds résonnèrent dans l'escalier. Burydan se prépara mentalement. Son père ouvrit la porte, l'agonisa d'injures et le gifla à plusieurs reprises , Burydan ne moufta pas. Son père le bourra de coups de poing dans le ventre et dans les côtes, Burydan resta impassible. Son père parut décontenancé. Il tira son ceinturon et fouetta son fils. Ça faisait mal mais Burydan ne broncha pas. Son père frappa encore plus fort sans obtenir la moindre réaction. Il l'insulta de nouveau et partit, frustré.
Il avait gagné. Il avait mal partout, certes, mais il avait gagné. Son père le frappa encore, mais moins fréquemment. Et Burydan savait qu'il ne le frapperait jamais jusqu'à le blesser. Après tout, c'était lui et sa mère qui faisait tourner la ferme. Pendant que son père cuvait son picrate et dormait presque toute la journée, c'est lui qui s'occupait des champs, labourant, semant, moissonnant, fauchant les foins. Sa mère, elle, s'occupait du potager, des volailles, des squirks (1) et de la vitula (2), qui leur fournissait lait, beurre et crème, ainsi que des arbres fruitiers.
Burydan travaillait dur de l'aube au couchant et faisait en sorte d'avoir la meilleure récolte possible, pour une seule et unique raison : lorsque la récolte était bonne, son père gagnait plus de pécunes au marché, et s'enivrait tant et plus. Quand il rentrait ivre mort, il n'avait même plus la force de les frapper, lui et sa mère. Et ils l'avaient ramassé une paire de fois, affalé devant la ferme, pataugeant dans son propre vomi.
Les seuls moments agréables c'était quand, une semaine par mois, son oncle, le frère de son père, et sa tante venait à la ferme. Non pas que Burydan les aima plus que ça, son oncle était aussi rustre et violent que son père, et sa femme était une femme éteinte, soumise à son mari, comme sa mère, mais ils venaient avec leur fils, Darren.
Burydan adorait son cousin, qui le lui rendait bien. Ils avaient quasiment le même âge, sauf que Darren était né quelques mois plus tôt et appelait Burydan ''bébé'' depuis toujours. Et ça l'amusait. Étant tous les deux fils uniques, ils se considéraient plus comme des frères que comme des cousins.
Ils dormaient dans la même chambre. En hiver, ils rapprochaient leurs paillasses et se blottissaient l'un contre l'autre pour se réchauffer, en été, la chambre se transformant en fournaise, ils s’allongeaient nus et passaient des heures à bavarder, de tout et de rien.
Un jour, Darren voyant le corps meurtri de Burydan, il lui demanda ce qu'il avait fait, et son cousin lui avoua que son père le frappait. Darren ne dit rien pendant quelques secondes, puis avoua :
- Ça doit être de famille... mon père aussi me bat. Et il frappe fort, l'ordure...
Burydan lui indiqua sa technique pour ne pas donner de satisfaction à son père, et Darren l'appliqua. Ils se promirent de partir un jour, ensemble, quand ils seraient majeurs, loin de ces pères violents et de ne jamais revenir.
A l'adolescence, Darren et Burydan virent leur corps se transformer. Leur silhouette s'affina et, à 15 ans, les durs travaux des champs leur avaient déjà permis de se sculpter des corps extrêmement musclés. De beaux biceps, des cuisses énormes, des pectoraux volumineux, des abdos noueux, des épaules larges, un dos bien charpenté et un adorable petit cul, ferme et bien rebondi, leur peau halée mettant en valeur les reliefs escarpés de leur musculature. Bref, deux beaux garçons.
Darren était aussi blond que Burydan était brun, des yeux bleus d'un ciel d'azur, qui contrastaient avec ceux, gris, de son cousin, couleur d'un ciel d'orage. Un petit nez retroussé et des lèvres bien ourlées.
Un soir, Burydan fut réveillé en pleine nuit par des bruits étranges. Des froissements d'étoffe et des sortes de gémissements étouffés. Il ouvrit les yeux sans bouger. Selena laissait filtrer ses rayons par les planches disjointes de ses volets, éclairant sa chambre d'une lumière fantomatique. Il regarda vers la paillasse de son cousin et resta bouche bée.
(1) Squirk : mammifère rongeur à grandes oreilles qu'on élève pour sa chair. Très semblable au lapin.
(2) Vitula : mammifère ruminant pourvu de cornes. Femelle du taurus. Élevée pour son lait ou pour sa chair. Très semblable à la vache.