08-09-2020, 10:40 AM
Bonjour chères lectrices,
bonjour chers lecteurs,
voici une nouvelle de quelques pages.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser un commentaire ou un MP !
Il fait noir, il pleut à verse, je suis au volant de mon véhicule, ma BMW 2002 TII, qui compte déjà quelques années. Je circule en direction de mon domicile et une cassette audio de « Simon & Garfunkel » berce l’atmosphère ouatée de l’habitacle où la température est réglée de manière à avoir assez de degrés pour ne pas avoir froid, mais au contraire bien chaud. Je suis dans mes pensées, je pense à Claire, ma compagne, elle vient de me quitter, il y a trois jours.
Nous vivions en effet ensemble depuis un an et demi. Je revois certains moments, remplis de petits bonheurs, tous plus beaux les uns que les autres. Mais aussi des scènes de jalousie ! Claire est d’une nature relativement jalouse et possessive. Elle veut tout savoir sur moi, ce que je fais, ce que j’ai vécu avant de la connaitre. Moi de mon côté, je garde pour moi les moments passés avec mes deux ex ! Ce que j’ai vécu avant avec mes deux premières compagnes ne la regarde pas, cela reste du domaine privé et personnel. J’ai donc déjà eu deux petites-amies avec lesquelles j’ai vécu environ six mois avec chacune d’elles. Finalement, ma vie affective est un véritable fiasco. Je suis semble-t-il un mec volage ! C’est du moins ce qu’en disent mes amies et mes rares amis aussi.
Il pleut de plus en plus sur cette route nationale bordée d’arbres. L’eau sur la chaussée brille dans les phares de la voiture ; par endroits, il y a des coulées d’eau qui traversent les deux bandes de circulation. Dans un virage un peu plus serré que les précédents, la voiture part de l’arrière, je tente de contrebraquer, puis surtout ne pas freiner, elle part de l’autre côté de la route, elle glisse une nouvelle fois de l’arrière, je ne sais plus la contrôler, le volant ne répond plus, c’est l’aquaplanage, je vois un arbre qui à l’air de se rapprocher, mais non c’est la voiture qui va s’encastrer dedans, c’est… « BOUM » !
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Bonjour, je me présente, oui je suis le conducteur de la BMW et je me prénomme Michel. L’histoire commence le 24 novembre 1987, vers dix-neuf heures quarante-trois. À cette époque, j’avais vingt-sept ans, j’étais un gars sportif, taille moyenne, un mètre quatre-vingt-deux pour septante neuf kilos. Je travaille depuis mes vingt-deux ans comme représentant en matériel médical au sein d’une entreprise développant des scanners, des appareils de radiographie dentaire, de l’appareillage de rééducation à usage des kinésithérapeutes, etc. J’ai perdu mes parents quand j’avais neuf ans. J’ai été élevé chez ma grand-mère maternelle, seule famille encore en vie à cette époque. Mamie s’en est allée le trente et un décembre 1984, la veille de la nouvelle année. Depuis j’ai une sainte horreur de fêter le passage à l’an neuf.
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Je n’entends plus rien, il fait noir et je sens la pluie qui me mouille. Je ne ressens rien, mais je ne peux plus bouger. Je commence à avoir froid. J’ai peur, je me rappelle que j’étais au volant de ma voiture et qu’il pleuvait à verse, puis plus rien, à part un grand bruit et un choc. Je sens mon corps s’engourdir. Je ne puis ouvrir les yeux, je me sens très las, l’impression de partir, mon corps se refroidissant et que je vais mourir !
Je me sens secoué. Je perçois très faiblement une voix, celle-ci est très agréable à entendre. Je tente de comprendre ce que cette voix me dit. Je sens qu’une main se pose sur ma main gauche. La voix continue à expliquer quelque chose, mais je ne comprends rien, tout est trouble, tout est déformé, je suis comme dans un cocon d’où je ne peux sortir. J’entends d’autres bruits, mais je ne sais pas les définir. J’entrevois comme des lampes bleutées. D’autres voix se font entendre. La main posée sur la mienne s’en va. Je ressens alors comme un vide. Je n’entends plus la voix, je commence à sombrer dans le néant.
Peu de temps après, je ne sais pas évaluer ce laps de temps qui s’est écoulé depuis la disparition de la main qui tenait la mienne, mais je retrouve à la fois cette main et cette voix. Je sens qu’on s’agite autour de moi. J’entends à nouveau les autres voix sans pour autant comprendre ce qui se dit. Je me sens touché de partout. Je n’ai pas mal, mais je suis comme sans réaction. A aucun moment je ne me rends plus compte de ce qui se passe. Je suis comme hors du temps.
Une nouvelle fois je me sens partir vers un trou noir et puis je vois de la lumière, elle est au loin, elle devient de plus en plus brillante, je dirais même aveuglante. Je me sens léger, léger ! Ma main est à nouveau tenue, et ce encore une fois par une main, celle que j’avais déjà sentie sur la mienne, c’est comme si elle m’empêche de m’en aller et j’entends encore cette voix si agréable, si harmonieuse dire quelque chose, mais je ne comprends toujours rien. Je me sens « revivre », la lumière aveuglante s’est atténuée, elle est partie, je ne sais où !
Je suis dans le cirage le plus complet. Je sens toujours cette main accrochée à la mienne, dans un sens cela me rassure. Je suis balloté de gauche à droite durant un bon bout de temps. J’entends toujours cette voix qui me parle mais je ne comprends rien c’est comme du chinois. Puis parfois je me sens partir, je suis comme en apnée, entre deux eaux.
Une fois le ballotage enfin terminé et cette main chaude au creux de la mienne, je me détends un peu, j’ai l’impression de flotter dans les airs. Puis d’un coup, je ressens une certaine chaleur qui m’enveloppe et la main qui me serre qui s’évanouit. Il me manque ce lien qui me retient mais la voix est encore audible bien que je ne comprenne toujours rien. Une lueur plus prononcée éclaire mon visage bien que mes yeux soient clos, cette lumière blanche m’aveugle en partie. Il m’est donc impossible d’ouvrir les yeux. Je n’entends plus la voix, je ne ressens plus la main qui me serrait si fort. Puis je m’enfonce dans un sommeil sans sensation.
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Il pleut, il y a du vent, je suis assis à l’avant droit de la camionnette d’intervention, c’est mon collègue qui conduit. Oui mon conducteur c’est Yves, il a vingt-cinq ans, il est fiancé à une fille géniale, Marie-Ange. Ils vont bien ensemble, je suis un peu comme leur « parrain ». Nous roulons sur cette route de campagne que nous connaissons par cœur à force d’y passer et y repasser. Yves et moi parlons de la future naissance de leur bébé. Oui, Marie-Ange attend famille, elle est enceinte de six mois. Ils n’ont pas voulu savoir quel est le sexe de l’enfant, cela doit rester une surprise pour eux comme pour ceux qui partagent leur vie. Je fais partie de ceux-là. Voilà bientôt trois ans que nous travaillons ensemble.
Ah oui, moi, c’est François. J’ai trente-six ans. Je suis un peu enveloppé, bon c’est la nature qui a fait que… Je suis marié avec Hélène et nous avons trois enfants, trois garçons. Je ne sais pas comment me qualifier, je suis très sensible, je suis parfois pour ne pas dire souvent mal dans ma peau. Je me suis habitué depuis trente-six ans ! Je suis châtain clair, les yeux gris-bleu, le visage rond, je mesure un mètre septante-cinq.
Yves et moi nous sommes en fait gendarmes et nous patrouillons dans la campagne, prêts à répondre aux interventions qui nous sont communiquées par radio. Nous effectuons aussi des contrôles routiers en vue de vérifier si les conducteurs et les véhicules sont en ordre. Comme le temps est exécrable nous patrouillons sur les routes nationales et régionales afin de voir si aucun automobiliste n’est en difficulté.
À la sortie d’un visage prononcé nous voyons un véhicule encastré dans un arbre. C’est une berline allemande, une BMW rouge. Directement Yves arrête le véhicule de service, actionne le gyrophare bleu ainsi que les feux de détresse. Je suis déjà sorti de la camionnette et je cours vers le véhicule accidenté. Je vais directement vers la portière conducteur, l’autre portière étant enfoncée dans l’arbre. Je vois un jeune homme, il a entre vingt-cinq et trente ans, allure sportive, il doit avoir à vue de nez un peu plus d’un mètre quatre-vingt. Je tire sur la porte et de suite je vérifie son pouls. Le cœur bat, mais faiblement.
Je secoue cet homme et je lui parle en vue de lui faire reprendre conscience. Je prends sa main gauche que je tiens et que je serre en vue de le faire réagir. Pendant ce temps là je demande à Yves de faire appel à l’ambulance via le dispatching. Je reste près du blessé, je lui parle. Je remarque qu’il présente des blessures à la face, il doit probablement avoir des fractures au niveau des jambes vu que le tableau de bord s’est affaissé sur ses cuisses. Je coupe le contact car ça sent l’essence, ce serait trop bête d’avoir un début d’incendie, car les jambes de ce jeune-homme semblent bel et bien coincées.
Le temps semble long, et c’est souvent comme ça lorsque l’on attend des secours. Il n’a fallu qu’une dizaine de minutes pour entendre la sirène de l’ambulance. L’infirmier arrive avec sa mallette auprès de moi. Il se penche vers le blessé alors je me recule et je lâche sa main. L’infirmier remarque que l’homme semble plonger, son rythme cardiaque fléchi, sa respiration diminue fortement, ses yeux sont révulsés. Je parle au blessé, il semble réagir, mais si faiblement. L’infirmier me demande de tenir la pochette du baxter pendant qu’il va chercher de quoi immobiliser le bras droit qui est fracturé.
Le camion des pompiers arrive enfin. Trois hommes du feu en descendent et prennent déjà les outils pour désincarcérer le blessé. Je me rends compte d'être près de lui et de parler à ce jeune homme semble l’apaisé. J’ai l’impression qu’il y a entre nous comme une sorte de communication tactile d’une part avec ma main et via le son de ma voix d’autre part. Les pompiers s’échinent à libérer le blessé de cet amas de ferraille.
Avant d’extraire le blessé et de le mettre sur une civière, le médecin de garde arrive lui aussi. C’est Yves qui a demandé son intervention vu l’état préoccupant du conducteur. Je sais qu’il a très bien fait. Le médecin et l’infirmier s’occupent du blessé. Je suis quant à moi toujours présent avec la poche du baxter en main et en position haute.
Après plus d’un quart d’heure le blessé est libéré de sa prison sur roues. Il est placé sur la civière et je le laisse aux ambulanciers. Le médecin se rend compte que lorsque je pars, le conducteur s’enfonce une nouvelle fois. Le docteur me rappelle et me demande de prendre la main du blessé et de lui parler. Comme par miracle, il réagit positivement ! Je me propose de rester avec le blessé durant le trajet vers l’hôpital. Yves en prend acte. Je quitte alors les lieux de l’accident, moi tenant la main gauche de ce jeune-homme en continuant à lui parler.
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Point de vue de Michel.
Je suis toujours dans les vapes. Je n’ai aucune notion du temps. Je ne sais plus quel est le jour, ni la date, ni encore si c’est le jour ou la nuit. J’ai impression d’être enfermé dans mon propre corps. C’est difficile à expliquer. Parfois je sens comme une présence, comme une main qui enserre la mienne et encore cette voix apaisante. Mais je ne sais pas où je suis. Lors de cette présence, qui pour moi est presque irréelle, je me sens nettement porté, comme soutenu par des fils assez ténus, fils qui semblent toujours prêt à se rompre. C’est comme si je reposais dans sur un nuage, dans de l’ouate.
Les moments de « contacts » sont assez réguliers, il me semble qu’ils se font à heures fixes sans pouvoir en préciser ni l’heure ni même la durée, mais qu’ils sont comme des bouffées d’oxygène, comme des moments fixés hors du temps, hors de mon corps, moments où mon esprit vagabonde en toute liberté mais dans un environnement sain, exempt de tout mal, porteur de bonheur !
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Point de vue de François.
Je rends visite à Michel, à l’hôpital, tous les jours après mon service et même le week-end que je sois d’astreinte ou en repos. J’ai besoin de savoir comment il va, s’il reprend conscience, s’il sait où il est, d’où il vient ! L’expérience tactile que nous avons eue alors qu’il était au plus mal sur les lieux de l’accident m’a complètement chamboulé. Michel est toujours dans le brouillard, soit une sorte de coma.
La première chose que je fais, c’est de prendre sa main. Inutile de dire qu’une seconde après il reconnait cette main qui vient au contact de la sienne. À chaque fois le moniteur placé à ses côtés montre qu’il réagit. Son visage est encore bandé, ses deux bras sont plâtrés de même que sa jambe gauche qui est placée en extension au moyen de cordes de traction et de poulies. La seule chose c’est qu’il n’est pas intubé, il respire par ses propres moyens.
Ce n’est que lors d’une de mes visites, un jeudi soir, juste avant la fin des visites, que je me rends brusquement compte qu’il bouge les paupières. Je me penche aussitôt vers son visage : effectivement ses paupières s’entre-ouvrent un peu. Je fais appel à l’infirmière de garde qui observe la même chose que moi. Elle va prévenir le médecin de garde qui vient dans la chambre dix minutes plus tard. Bien entendu je suis prié de sortir et d’attendre dans le couloir ou dans la salle d’attente de l’étage près des ascenseurs.
L’attente me paraît longue, c’est souvent le cas quand on espère des nouvelles d’une personnes en état de faiblesse. Je revois encore les premières images de ce véhicule écrasé sur l’arbre dans le virage et ce jeune-homme coincé derrière son volant qui lutte contre la mort. Je me souviens des paroles du médecin qui, le troisième jour à l’hôpital, me dit que le blessé a eu de la chance d’avoir été pris en charge assez vite car il était moins une pour qu’il ne quitte ce monde. Le praticien ajoute aussi : « heureusement que vous étiez là auprès de lui pour l’aider psychologiquement, lui parler et le réconforter par vos paroles et vos gestes, car il était déjà très loin ! »
Voilà, le médecin sort de la chambre. Il vient vers moi et me dit qu’il sort progressivement du coma, qu’il est très fatigué et doit se reposer. Il ajoute que je peux revenir le lendemain. Je suis soulagé d’apprendre cette bonne nouvelle. C’est comme si un poids m’avait été ôté de mes épaules.
A suivre.
bonjour chers lecteurs,
voici une nouvelle de quelques pages.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser un commentaire ou un MP !
MICHEL
Il fait noir, il pleut à verse, je suis au volant de mon véhicule, ma BMW 2002 TII, qui compte déjà quelques années. Je circule en direction de mon domicile et une cassette audio de « Simon & Garfunkel » berce l’atmosphère ouatée de l’habitacle où la température est réglée de manière à avoir assez de degrés pour ne pas avoir froid, mais au contraire bien chaud. Je suis dans mes pensées, je pense à Claire, ma compagne, elle vient de me quitter, il y a trois jours.
Nous vivions en effet ensemble depuis un an et demi. Je revois certains moments, remplis de petits bonheurs, tous plus beaux les uns que les autres. Mais aussi des scènes de jalousie ! Claire est d’une nature relativement jalouse et possessive. Elle veut tout savoir sur moi, ce que je fais, ce que j’ai vécu avant de la connaitre. Moi de mon côté, je garde pour moi les moments passés avec mes deux ex ! Ce que j’ai vécu avant avec mes deux premières compagnes ne la regarde pas, cela reste du domaine privé et personnel. J’ai donc déjà eu deux petites-amies avec lesquelles j’ai vécu environ six mois avec chacune d’elles. Finalement, ma vie affective est un véritable fiasco. Je suis semble-t-il un mec volage ! C’est du moins ce qu’en disent mes amies et mes rares amis aussi.
Il pleut de plus en plus sur cette route nationale bordée d’arbres. L’eau sur la chaussée brille dans les phares de la voiture ; par endroits, il y a des coulées d’eau qui traversent les deux bandes de circulation. Dans un virage un peu plus serré que les précédents, la voiture part de l’arrière, je tente de contrebraquer, puis surtout ne pas freiner, elle part de l’autre côté de la route, elle glisse une nouvelle fois de l’arrière, je ne sais plus la contrôler, le volant ne répond plus, c’est l’aquaplanage, je vois un arbre qui à l’air de se rapprocher, mais non c’est la voiture qui va s’encastrer dedans, c’est… « BOUM » !
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Bonjour, je me présente, oui je suis le conducteur de la BMW et je me prénomme Michel. L’histoire commence le 24 novembre 1987, vers dix-neuf heures quarante-trois. À cette époque, j’avais vingt-sept ans, j’étais un gars sportif, taille moyenne, un mètre quatre-vingt-deux pour septante neuf kilos. Je travaille depuis mes vingt-deux ans comme représentant en matériel médical au sein d’une entreprise développant des scanners, des appareils de radiographie dentaire, de l’appareillage de rééducation à usage des kinésithérapeutes, etc. J’ai perdu mes parents quand j’avais neuf ans. J’ai été élevé chez ma grand-mère maternelle, seule famille encore en vie à cette époque. Mamie s’en est allée le trente et un décembre 1984, la veille de la nouvelle année. Depuis j’ai une sainte horreur de fêter le passage à l’an neuf.
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Je n’entends plus rien, il fait noir et je sens la pluie qui me mouille. Je ne ressens rien, mais je ne peux plus bouger. Je commence à avoir froid. J’ai peur, je me rappelle que j’étais au volant de ma voiture et qu’il pleuvait à verse, puis plus rien, à part un grand bruit et un choc. Je sens mon corps s’engourdir. Je ne puis ouvrir les yeux, je me sens très las, l’impression de partir, mon corps se refroidissant et que je vais mourir !
Je me sens secoué. Je perçois très faiblement une voix, celle-ci est très agréable à entendre. Je tente de comprendre ce que cette voix me dit. Je sens qu’une main se pose sur ma main gauche. La voix continue à expliquer quelque chose, mais je ne comprends rien, tout est trouble, tout est déformé, je suis comme dans un cocon d’où je ne peux sortir. J’entends d’autres bruits, mais je ne sais pas les définir. J’entrevois comme des lampes bleutées. D’autres voix se font entendre. La main posée sur la mienne s’en va. Je ressens alors comme un vide. Je n’entends plus la voix, je commence à sombrer dans le néant.
Peu de temps après, je ne sais pas évaluer ce laps de temps qui s’est écoulé depuis la disparition de la main qui tenait la mienne, mais je retrouve à la fois cette main et cette voix. Je sens qu’on s’agite autour de moi. J’entends à nouveau les autres voix sans pour autant comprendre ce qui se dit. Je me sens touché de partout. Je n’ai pas mal, mais je suis comme sans réaction. A aucun moment je ne me rends plus compte de ce qui se passe. Je suis comme hors du temps.
Une nouvelle fois je me sens partir vers un trou noir et puis je vois de la lumière, elle est au loin, elle devient de plus en plus brillante, je dirais même aveuglante. Je me sens léger, léger ! Ma main est à nouveau tenue, et ce encore une fois par une main, celle que j’avais déjà sentie sur la mienne, c’est comme si elle m’empêche de m’en aller et j’entends encore cette voix si agréable, si harmonieuse dire quelque chose, mais je ne comprends toujours rien. Je me sens « revivre », la lumière aveuglante s’est atténuée, elle est partie, je ne sais où !
Je suis dans le cirage le plus complet. Je sens toujours cette main accrochée à la mienne, dans un sens cela me rassure. Je suis balloté de gauche à droite durant un bon bout de temps. J’entends toujours cette voix qui me parle mais je ne comprends rien c’est comme du chinois. Puis parfois je me sens partir, je suis comme en apnée, entre deux eaux.
Une fois le ballotage enfin terminé et cette main chaude au creux de la mienne, je me détends un peu, j’ai l’impression de flotter dans les airs. Puis d’un coup, je ressens une certaine chaleur qui m’enveloppe et la main qui me serre qui s’évanouit. Il me manque ce lien qui me retient mais la voix est encore audible bien que je ne comprenne toujours rien. Une lueur plus prononcée éclaire mon visage bien que mes yeux soient clos, cette lumière blanche m’aveugle en partie. Il m’est donc impossible d’ouvrir les yeux. Je n’entends plus la voix, je ne ressens plus la main qui me serrait si fort. Puis je m’enfonce dans un sommeil sans sensation.
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Il pleut, il y a du vent, je suis assis à l’avant droit de la camionnette d’intervention, c’est mon collègue qui conduit. Oui mon conducteur c’est Yves, il a vingt-cinq ans, il est fiancé à une fille géniale, Marie-Ange. Ils vont bien ensemble, je suis un peu comme leur « parrain ». Nous roulons sur cette route de campagne que nous connaissons par cœur à force d’y passer et y repasser. Yves et moi parlons de la future naissance de leur bébé. Oui, Marie-Ange attend famille, elle est enceinte de six mois. Ils n’ont pas voulu savoir quel est le sexe de l’enfant, cela doit rester une surprise pour eux comme pour ceux qui partagent leur vie. Je fais partie de ceux-là. Voilà bientôt trois ans que nous travaillons ensemble.
Ah oui, moi, c’est François. J’ai trente-six ans. Je suis un peu enveloppé, bon c’est la nature qui a fait que… Je suis marié avec Hélène et nous avons trois enfants, trois garçons. Je ne sais pas comment me qualifier, je suis très sensible, je suis parfois pour ne pas dire souvent mal dans ma peau. Je me suis habitué depuis trente-six ans ! Je suis châtain clair, les yeux gris-bleu, le visage rond, je mesure un mètre septante-cinq.
Yves et moi nous sommes en fait gendarmes et nous patrouillons dans la campagne, prêts à répondre aux interventions qui nous sont communiquées par radio. Nous effectuons aussi des contrôles routiers en vue de vérifier si les conducteurs et les véhicules sont en ordre. Comme le temps est exécrable nous patrouillons sur les routes nationales et régionales afin de voir si aucun automobiliste n’est en difficulté.
À la sortie d’un visage prononcé nous voyons un véhicule encastré dans un arbre. C’est une berline allemande, une BMW rouge. Directement Yves arrête le véhicule de service, actionne le gyrophare bleu ainsi que les feux de détresse. Je suis déjà sorti de la camionnette et je cours vers le véhicule accidenté. Je vais directement vers la portière conducteur, l’autre portière étant enfoncée dans l’arbre. Je vois un jeune homme, il a entre vingt-cinq et trente ans, allure sportive, il doit avoir à vue de nez un peu plus d’un mètre quatre-vingt. Je tire sur la porte et de suite je vérifie son pouls. Le cœur bat, mais faiblement.
Je secoue cet homme et je lui parle en vue de lui faire reprendre conscience. Je prends sa main gauche que je tiens et que je serre en vue de le faire réagir. Pendant ce temps là je demande à Yves de faire appel à l’ambulance via le dispatching. Je reste près du blessé, je lui parle. Je remarque qu’il présente des blessures à la face, il doit probablement avoir des fractures au niveau des jambes vu que le tableau de bord s’est affaissé sur ses cuisses. Je coupe le contact car ça sent l’essence, ce serait trop bête d’avoir un début d’incendie, car les jambes de ce jeune-homme semblent bel et bien coincées.
Le temps semble long, et c’est souvent comme ça lorsque l’on attend des secours. Il n’a fallu qu’une dizaine de minutes pour entendre la sirène de l’ambulance. L’infirmier arrive avec sa mallette auprès de moi. Il se penche vers le blessé alors je me recule et je lâche sa main. L’infirmier remarque que l’homme semble plonger, son rythme cardiaque fléchi, sa respiration diminue fortement, ses yeux sont révulsés. Je parle au blessé, il semble réagir, mais si faiblement. L’infirmier me demande de tenir la pochette du baxter pendant qu’il va chercher de quoi immobiliser le bras droit qui est fracturé.
Le camion des pompiers arrive enfin. Trois hommes du feu en descendent et prennent déjà les outils pour désincarcérer le blessé. Je me rends compte d'être près de lui et de parler à ce jeune homme semble l’apaisé. J’ai l’impression qu’il y a entre nous comme une sorte de communication tactile d’une part avec ma main et via le son de ma voix d’autre part. Les pompiers s’échinent à libérer le blessé de cet amas de ferraille.
Avant d’extraire le blessé et de le mettre sur une civière, le médecin de garde arrive lui aussi. C’est Yves qui a demandé son intervention vu l’état préoccupant du conducteur. Je sais qu’il a très bien fait. Le médecin et l’infirmier s’occupent du blessé. Je suis quant à moi toujours présent avec la poche du baxter en main et en position haute.
Après plus d’un quart d’heure le blessé est libéré de sa prison sur roues. Il est placé sur la civière et je le laisse aux ambulanciers. Le médecin se rend compte que lorsque je pars, le conducteur s’enfonce une nouvelle fois. Le docteur me rappelle et me demande de prendre la main du blessé et de lui parler. Comme par miracle, il réagit positivement ! Je me propose de rester avec le blessé durant le trajet vers l’hôpital. Yves en prend acte. Je quitte alors les lieux de l’accident, moi tenant la main gauche de ce jeune-homme en continuant à lui parler.
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Point de vue de Michel.
Je suis toujours dans les vapes. Je n’ai aucune notion du temps. Je ne sais plus quel est le jour, ni la date, ni encore si c’est le jour ou la nuit. J’ai impression d’être enfermé dans mon propre corps. C’est difficile à expliquer. Parfois je sens comme une présence, comme une main qui enserre la mienne et encore cette voix apaisante. Mais je ne sais pas où je suis. Lors de cette présence, qui pour moi est presque irréelle, je me sens nettement porté, comme soutenu par des fils assez ténus, fils qui semblent toujours prêt à se rompre. C’est comme si je reposais dans sur un nuage, dans de l’ouate.
Les moments de « contacts » sont assez réguliers, il me semble qu’ils se font à heures fixes sans pouvoir en préciser ni l’heure ni même la durée, mais qu’ils sont comme des bouffées d’oxygène, comme des moments fixés hors du temps, hors de mon corps, moments où mon esprit vagabonde en toute liberté mais dans un environnement sain, exempt de tout mal, porteur de bonheur !
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Point de vue de François.
Je rends visite à Michel, à l’hôpital, tous les jours après mon service et même le week-end que je sois d’astreinte ou en repos. J’ai besoin de savoir comment il va, s’il reprend conscience, s’il sait où il est, d’où il vient ! L’expérience tactile que nous avons eue alors qu’il était au plus mal sur les lieux de l’accident m’a complètement chamboulé. Michel est toujours dans le brouillard, soit une sorte de coma.
La première chose que je fais, c’est de prendre sa main. Inutile de dire qu’une seconde après il reconnait cette main qui vient au contact de la sienne. À chaque fois le moniteur placé à ses côtés montre qu’il réagit. Son visage est encore bandé, ses deux bras sont plâtrés de même que sa jambe gauche qui est placée en extension au moyen de cordes de traction et de poulies. La seule chose c’est qu’il n’est pas intubé, il respire par ses propres moyens.
Ce n’est que lors d’une de mes visites, un jeudi soir, juste avant la fin des visites, que je me rends brusquement compte qu’il bouge les paupières. Je me penche aussitôt vers son visage : effectivement ses paupières s’entre-ouvrent un peu. Je fais appel à l’infirmière de garde qui observe la même chose que moi. Elle va prévenir le médecin de garde qui vient dans la chambre dix minutes plus tard. Bien entendu je suis prié de sortir et d’attendre dans le couloir ou dans la salle d’attente de l’étage près des ascenseurs.
L’attente me paraît longue, c’est souvent le cas quand on espère des nouvelles d’une personnes en état de faiblesse. Je revois encore les premières images de ce véhicule écrasé sur l’arbre dans le virage et ce jeune-homme coincé derrière son volant qui lutte contre la mort. Je me souviens des paroles du médecin qui, le troisième jour à l’hôpital, me dit que le blessé a eu de la chance d’avoir été pris en charge assez vite car il était moins une pour qu’il ne quitte ce monde. Le praticien ajoute aussi : « heureusement que vous étiez là auprès de lui pour l’aider psychologiquement, lui parler et le réconforter par vos paroles et vos gestes, car il était déjà très loin ! »
Voilà, le médecin sort de la chambre. Il vient vers moi et me dit qu’il sort progressivement du coma, qu’il est très fatigué et doit se reposer. Il ajoute que je peux revenir le lendemain. Je suis soulagé d’apprendre cette bonne nouvelle. C’est comme si un poids m’avait été ôté de mes épaules.
A suivre.