CHAPITRE LLXXIX
''A mari usque ad mare''
''A mari usque ad mare''
Burydan découvrit, sur le bateau, qu'il n'avait pas le pied marin. Mais alors pas du tout. Il passa deux jours entiers à vomir. Les marins le regardaient en ricanant. Il se demandait comment il pouvait encore vomir alors qu'il n'avait rien avaler depuis son départ quand un vieil homme, la peau tannée et ridée par les embruns, s'adressa à lui :
- Ça va ?
Burydan lui lança un regard noir. Il était verdâtre et avait la nausée.
- Non, répondit-il sèchement.
''Je jure, se dit-il, que s'il se moque de moi, je le passe par dessus bord... du moins, si j'en ai encore la force...''
- Tu veux un conseil ? Pour plus être malade, j'veux dire...
- Oui-da !
- Tangue avec le bateau.
- Quoi ?
- - Tangue avec le bateau. T'as jamais vu un marin revenir après un long séjour en mer ?
- Euh... si...
- Et t'as jamais trouvé qu'il marchait bizarrement ?
Burydan se rappela la démarche étrange de certains hommes.
-Euh, oui, un peu...
- C'est parce qu'il a pris l'habitude de tanguer avec le bateau. Et tu verras, ça marche...
Burydan se demandait si le vieux ne se moquait pas de lui. Histoire de le rendre encore plus ridicule aux yeux de l'équipage. Mais il avait un sourire franc. Édenté, certes, mais franc.
Burydan se releva et essaya de suivre le mouvement du roulis. Il se sentait stupide.
- C'est ça... n'exagère pas trop tes mouvements... ouais, comme ça...
Et Burydan vit qu'en effet, ça marchait.
- C'est quoi ton nom ?
- Appelle moi Ismaël.
- Eh bien merci, Ismaël.
- Bah, de rien. Et ne te formalise pas pour les ricanements de ces traîne-savates. J'ai fait vingt fois le tour de Genesia et j'peux t'assurer que n'importe quel marin, à un moment ou à un autre, a été malade à crever.
Burydan lui rendit son sourire et passa le reste de la traversée à tanguer.
- Terre ! cria la vigie.
Il accostèrent enfin à Rotter'Dam, le plus grand port de l'île de Siméria.
Burydan aurait quasiment embrassé le sol tellement cette traversée avait été pénible. Arion, frais comme un gardous (1) (et c'est un comble pour un cheval), observa le port d'un œil circonspect.
- Eh bien nous y voilà mon grand, dit Burydan en montant en selle. Bon, trouvons d'abord la succursale de Grinn'Gotts.
Burydan trouva la banque. Il entra et se présenta à un guichet.
- Datter. Gobinavi meul perdiu bagaloi ? dit le guichetier.
Burydan essaya de se rappeler les cours de simérien que Gershaw lui avait donné. Il remit les mots dans l'ordre et traduisit : ''Bonjour. Que puis-je faire pour vous, monsieur ?''
(Que mon lecteur me permette de traduire directement les dialogues de la langue simérienne au français. NdT)
- Bonjour, je voudrais retirer un peu d'argent de mon compte
- Bien sûr. Dans quelle banque se trouve votre compte .
- Malienda. En Brittania.
- Très bien. Avez vous une lettre de change ?
Burydan tira le papier de sa poche.
- Parfait. Combien voulez vous ?
- De combien est le change .
- Oh, c'est très simple, le simeris vaut 1,004 lunars, le capokei vaut 1 ,02 sols et le mayis vaut 1,09 denaris.
- Dans ce cas donnez moi 200 simeris. En pièces.
Le guichetier lui compta ses pécunes et lui fit une nouvelle lettre de change avec le nouveau solde.
Burydan remonta en selle.
- Bien, trouvons une auberge à présent.
Ils quittèrent les grandes artères, encombrées et bruyantes, et trouvèrent, dans une petite rue, une auberge qui semblait accueillante, avec une écurie attenante.
- Vous allez gîter à l'auberge, m'sieur ?
- Oui.
- Vous voulez que je m’occupe de votre cheval ?
- Oui. Mais, prends en soin...
- Vous inquiétez pas, m'sieur, je suis le meilleur palefrenier de tout Siméria, dit le garçon avec un immense sourire.
- C'est quoi ton nom ?
- Ligo m'sieur.
Arion, sentant l'enbaku tout proche suivit docilement Ligo. Burydan, quant à lui, entra dans l'auberge.
Une femme, petite et ronde s'approcha avec un immense sourire.
- Bonjour à toi, joli jeune homme. Je me nomme Guenièvre et je suis la patronne de céans. Puis-je faire quelque chose pour toi ?
- Oui-da. Je voudrais une chambre.
- Très bien.
- Mais je voudrais ta meilleure chambre.
- Toutes mes chambres sont excellentes, se récria la matrone.
- Je n'en doute pas. Mais si ma chambre pouvait avoir une salle d'eau et des... commodités indépendantes, ce serait parfait.
Burydan savait que dans la plupart des auberges d'Utopia, il y avait toujours une chambre meilleure que les autres. Il espérait que c'était pareil à Siméria.
- J'ai une chambre de ce genre. Mais elle coûte deux fois le prix d'une chambre classique. Et, généralement, nous la gardons pour des personnes de qualité qui nous font parfois l'honneur de venir dormir ici...
- Et si je te propose de te payer 15 jours d'avance, même si je ne reste pas 15 jours ?
- Avec le dîner ?
- Non, avec le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner, et un cheval aux écuries.
Guenièvre, les yeux brillants, compta dans sa tête...
- Cela fera... huit simeris...
Elle s'attendit à ce que Burydan barguigne, mais celui-ci posa huit pièces sur le comptoir. Guenièvre, un peu surprise, les empocha, lui fit un immense sourire et cria :
- Philipotte ! Philipotte !!
Une jeune fille blonde de 16 ou 17 ans sortit de l'arrière salle, la démarche précipitée.
- Madame ?
- Mène monsieur à la chambre du quatrième. Et ne lambine pas.
- Bien madame.
Philipotte voulue prendre les bagages de Burydan mais celui-ci l'arrêta.
- Laisse, ma mignonne, je vais le faire.
- Monsieur, dit Guenièvre, ici ce sont les chambrières qui mènent les bagages de nos clients dans leur chambre. C'est leur emploi et elles sont payées pour ça...
- Et c'est mon bon plaisir de porter moi-même mes bagues dans ma chambre. Mais si cela te pose un problème, rends moi mes huit simeris Ce ne sont pas les auberges qui manquent par ici...
- Oh, point d'offense mon beau gentilhomme.
- Aussi n'en prends-je, dit Burydan. Philipotte, montre moi le chemin s'il te plaît...
Le ''s'il te plaît'' paru encore plus surprendre la patronne et son employée.
Philipotte le précéda dans le petit viret qui menait au quatrième étage. Elle ouvrit la porte de la chambre, y entra, ouvrit les rideaux et fit bouffer les oreillers. La chambre était spacieuse, avec un grand lit, une armoire, une commode et une table avec deux chaises.
- La salle d'eau se trouve ici, dit Philipotte en montrant une porte.
Burydan l'ouvrit, un lavabo, un robinet et un petit poêle pour chauffer l'eau.
- Et les commodités ?
- Juste en face de l'entrée, monsieur.
- Très bien.
- Monsieur a-t-il tout ce qu'il lui faut ?
- Presque. Dis moi, ma belle, comment est le picrate dans cette auberge ?
- Cela dépend. Le picrate de base est... eh bien comme tous les picrates, âpre et fort... le picrate premier choix, lui, est bien meilleur mais coûte deux fois plus cher...
- Dans ce cas pourrais tu être un amour et aller me chercher un pichet de picrate premier choix, un pichet d'eau et deux gobelets.
Au ''être un amour'', Philipotte rougit. Elle acquiesça et alla chercher le tout. Burydan était en train de ranger ses affaires quand on frappa à la porte.
- Entrez !
- Monsieur pourrait-il ouvrir la porte, j'ai les bras chargés...
Burydan déclouis l'huis et Philipotte, portant un grand plateau, entra. Elle le posa sur la table.
- Merci ma jolie. Puis-je t'offrir un godet ?
- Oh, je ne peux, monsieur, je dois retourner au travail, dame Guenièvre, vous savez...
- Tu n'auras qu'à lui dire que je t'ai retenue pour m'aider à ranger mes affaires. Je déteste boire seul...
- Très bien... mais la moitié d'un gobelet alors...
Burydan les servit. Philipotte s'assit en face de lui. Et Burydan, après la première gorgée, dû admettre que le picrate premier choix était très bon.
- Dis moi, Philipotte, ta patronne n'a pas l'air très... douce...
- Oh, elle ne l'est pas, et elle baille plus de soufflets que de caresses... surtout à moi...
- Quoi, es-tu une si mauvaise employée ?
- Oh non, monsieur. Je fais mon travail consciencieusement. C'est à cause de l'alberguier, son époux... elle me suspicionne de coqueliquer avec lui...
- Ah... est-ce vrai ?
- Par les dieux non ! Il est fort peu ragoutant... et il me regarde toujours avec des yeux pleins de vice... beurk ! De plus, je suis fille et compte le rester jusqu'à ce que je trouve un bon mari...
- Une chambrière fille... c'est assez rare...
- Monsieur, je sais que certaines de mes collègues labourent comme chiennes lubriques dans le lit des hommes gîtant céans. Mais je ne suis pas de cette farine...
- Très bien Philipotte, et c'est tout à ton honneur...
Philipotte se leva et se dirigea vers la porte.
- Monsieur va-t-il demander à dame Guenièvre d'avoir une autre chambrière ?
- Pourquoi ferais-je cela ?
- Peut-être que monsieur en voudrait une un peu plus... ployable...
Burydan s'approcha d'elle et lui mit les mains sur les épaules.
- Je n'ai point d’appétit à ces amours vénales, ne t'inquiète pas...
Burydan se dit qu'il mentait. Il avait appétit à des amours vénales, mais avec des créatures peu farouches qui avaient un joli morceau entre les cuisses.
Philipotte sourit, lui fit une petite révérence et partit.
Burydan ceignit son épée et décida d'aller visiter le port de Rotter'Dam.
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