30-05-2022, 06:29 PM
CHAPITRE CXLII
''Domum dulce domum''
''Domum dulce domum''
La domus du baron de Siorac était splendide. Tout respirait le goût et l'opulence. Autour de l'atrium, ou des poissons en carrara crachaient de l'eau cristalline dans un bassin aux bas reliefs ouvragés, des colonnades dans lesquelles des meubles laissaient voir de la vaisselle d'astrium, des bibelots de prix. Sur le murs, des tentures de fine étoffe parsemée de fils d'astrium et de trinium.
Le baron de Siorac fit entrer Burydan dans une grande pièce et le fit asseoir dans un divan confortable. Rhonin allait se mettre à ses pieds, mais Burydan le retint.
- Assieds toi à mes côtés, lui dit-il en simérien. Tu n'es pas mon esclave mais mon page...
Le baron tira sur un cordon et le majordome arriva :
- Amédée, ouvre une bonne bouteille de mon meilleur picrate et demande à la cuisinière de nous préparer quelques casse-gueule. Et dit à madame la baronne que nous avons un invité de marque...
Bien maître...
Le majordome poussa sa bedondaine hors de la pièce et le baron se retourna vers Burydan.
- Alors, Malkchour, qu'est ce qui vous amène en Mesmera ? Êtes-vous en chasse ?
- Du tout, monsieur le baron. Je ne suis plus chasseur de prime du duc...
- Oh, il vous a désoccupé ? Ce n'est pas à cause de nous j'espère...
- Non, j'ai démissionné. Comme le fit mon maître en son temps, je parcours Genesia pour me mesurer aux meilleurs épéistes. Après Siméria, mon voyage m'a conduit à Mesmera, et je me suis dit que j'allais rendre visite au marquis de Siorac...
- Et vous avez eu raison, mon ami. Vous serez toujours le bienvenu céans... je sais ce que je vous dois...
La baronne, Luna, entra dans la pièce.
- Mon ami, ma chambrière m'a dit que nous avions un invité de... Par les dieux, messire de Malkchour...
Et elle pâma.
Le baron et Burydan l'étendirent sur un des divans.
- Des sels !
Ramener à la réalité grâce à un flacon de sels, la baronne balbutia :
- Messire de Malkchour, est-ce bien vous ?
- Oui madame...
- Êtes-vous... êtes-vous venu nous saisir pour nous ramener au duc ?
- Madame, je ne l'ai pas fait à l'époque, sur mon territoire, et je ne le ferai pas plus aujourd'hui dans un pays étranger, surtout quand votre mari est si haut dans l'état et si proche de l'empereur.
- Oh, mille excuses messire, mais je n'arrive pas à chasser de mes pensées les atrocités que ce misérable duc voulait nous faire subir...
- N'ayez crainte, madame, c'est une visite amicale et... intéressée...
- Intéressée ? dit le baron.
- Oui, monsieur le baron. Je me suis laissé entendre dire que vous étiez un des conseillers de l'empereur...
- Conseiller, pas officiellement, mais il est vrai que Flavius me demande parfois mon avis sur quelque sujet...
- Aussi, je me demande si vous pourriez lui toucher un mot ou deux pour moi...
- Évidemment...
- J'aimerais pouvoir combattre en duel son maître d'arme... croyez vous cela possible ?
- Sans aucun problème... mais sachez, Malkchour, que le maître d'arme de l'empereur, Dominus Vobiscum, est un bretteur hors pair...
- Sinon où serait l’intérêt, monsieur le baron ?
- Eh bien c'est dit... dés demain j'en parlerai à l'empereur.
- La grand merci à vous, monsieur le baron...
- A une condition, toutefois...
- Je vous écoute.
- Que vous cessiez de m'appeler ''monsieur le baron''. Appelez moi Pierre, comme le font mes amis...
- Comme vous voudrez, Pierre. Si vous m'appeler Burydan, comme le font mes amis...
Les deux hommes se sourirent.
- Puis-je ajouter une condition, demanda Luna.
- Madame, ordonnez, dit Burydan.
- Que vous gitiez céans...
- Madame, nous avons trouvé à nous loger dans une très belle auberge et je ne voudrais pas vous déranger...
- Babille bahou... vous êtes un ami des Siorac, et les amis des Siorac ont toujours une chambre qui les attend... et nous en trouverons même une autre pour votre petit page tant joli... mais muet, apparemment...
- C'est juste que Rhonin ne parle pas le mesmérien. Il ne parle que simérien ou utopien...
- Eh bien nous parlerons donc en utopien, dit le baron.
- Donc cela est dit, messire de Malkchour ?
- Burydan, madame...
- Cela est dit, Burydan ? Et cessez de me madamer, appelez moi Luna...
- Cela est dit, Luna, si Rhonin peut dormir dans la même chambre que moi...
- Fi donc, mess... Burydan... vous aurez chacun votre chambre...
Le baron se tortilla, mal à l'aise, sachant très bien pourquoi Burydan voulait que Rhonin dorme dans la même chambre que lui.
- Il se trouve, mad... Luna... qu'une ancienne blessure me fait parfois m'étouffer et seul Rhonin sait comment me masser la gorge pour m’éviter de mourir dans d'atroces souffrances...
- Ah, dans ce cas, cela change tout... nous ferons mettre un petit lit d'appoint pour lui...
- Dans ce cas, Luna, j'accepte du bond du cœur...
- Parfait... où gitez-vous?
- A la ''Sole Pleureuse'', rue des Mignons.
- Parfait, je vais envoyer des esclaves chercher vos bagues...
- Madame, nous pouvons emménager demain et...
- Et vous allez emménager dés ce soir, et ce n'est pas négociable... et pour l'amour des dieux cessez de me madamer ! dit-elle en menaçant Burydan du doigt.
Burydan s'avoua vaincu. Il accompagna les esclaves du baron jusqu'à son auberge et emménagea avec Rhonin dans une superbe chambre.
- Nous étrennerons cette chambre dés ce soir, bébé... prépare toi à mordre l'oreiller... tu n'imagines pas à quel point j'ai envie de toi...
Oh, chic alors...
De retour au salon, Burydan demanda :
- Monsieur le ba... euh je veux dire, Pierre, comment vont Amandine, Charlotte et Pierre-Emmanuel ?
- Oh, on ne peut mieux. Charlotte est tombée éperdument amoureuse d'un bel officier de l'armée impériale. Elle l'a épousé et m'a donné deux beaux petits enfants, un garçon et une fille. Amandine, elle, a épousé un neveu de Flavius. - Lorsqu'elle a vu ce grand gaillard, blond comme les blés aux yeux aussi bleu... que ceux de votre page... elle en est tombé raffolée, et ils m'ont donné un autre petit fils qui est la prunelle de mes yeux... et Pierre-Emmanuel est entré en formation militaire... au plus grand dam de ma femme qui craint pour son petit chéri...
- Y a-t-il encore des guerres en Mesmera ?
- Non. Seulement quelques soulèvements populaires sporadiques. Mais que voulez vous, ma femme est une mère poule...
- Puis-je vous poser une question quelque peu indiscrète, Pierre ?
- Bien sûr.
- Vous êtes parti en catastrophe de Brittania avec 15 000 lunars. Et cette maison, votre manoir, vos terres... même si Flavius est très... généreux...
- Oh, c'est très simple... je suis riche... grâce à mes terres...
- C'est à dire ?
- C'est à dire que je suis le baron qui produit le plus de nourriture de tout l'empire, et de toute première qualité.
- Vraiment ?
- Vraiment, et grâce a un de nos compatriotes...
- Un Utopien ?
- Oui. Avez-vous déjà entendu parler d'Aristide Torchia ?
Ce nom disait quelque chose à Burydan. Il fronça les sourcils et fouilla ses mérangeoises. Et il se rappela avoir lu ce nom dans l'un des livres de Gershaw.
- N'est-ce pas cet homme qui a été brûlé vif pour sorcellerie.
- Si, c'est bien lui...
- Mais c'était il y a plus de...
- Deux cents ans... oui...
- Je... je ne comprends pas...
- Aristide Torchia a été brûlé vif parce qu'on pensait qu'il avait fait un pacte avec les puissances chthoniennes car on ne comprenait pas comment il pouvait produire tant de nourriture et toute de première qualité. On a dit qu'il arrosait ses champs avec du sang de nouveaux nés, qu'il sacrifiait de jeunes vierges pour faire pousser ses arbres fruitiers, qu'il égorgeait de jeunes garçons pour faire mûrir plus vite ses céréales, et autres horreurs toutes fausses, évidemment. Il se trouve que ce Torchia a écrit un livre...
Le baron se leva, se dirigea vers un meuble et ouvrit un petit coffre. Il en sortit un ouvrage ancien.
- Peu de gens on vu ce livre, Burydan, et c'est le seul exemplaire.
Burydan ouvrit le livre. Il y avait des tableaux, des mesures, des conseils pour produire plus et mieux d'à peu près tout ce qui pouvait pousser.
- Ce livre, poursuivit le baron, m'a été vendu dans un lot d'ouvrages en utopien que j'ai acheté à mon arrivée en Mesmera. Je ne sais comment le vendeur l'avait eu, vu qu'il était censé avoir été brûlé en même temps que son auteur. Mais j'ai décidé de voir s'il était efficace. Et il l'est, croyez moi. Mes terres produisent beaucoup plus que toutes les autres terres de Mesmera, et je n'ai jamais eu à sacrifier la moindre vierge pour cela...
- Ainsi Aristide Torchia a été brûlé...
- Par sottise. Parce que les gens ne comprennent pas ce qui sort de l'ordinaire...
Burydan feuilleta le livre. Le baron de Siorac sourit.