La porte des mondes (fantastique avec personnages gays, terminé)

[inny-2]

68 - Les cendres d'une guerre éternelle

Nous étions arrivés juste à temps pour admirer le feu d'artifice. Je dois bien avouer que j'ai éprouvé un lourd sentiment d'échec et d'impuissance en assistant à ce qui ne pouvait être que la libération de l'Équilibre. Puis, alors que nous nous relevions, nous découvrîmes ce qui était arrivé à tous les esclaves des puissances. Ils étaient vivants, mais regardaient dans le vide, semblant voir quelque chose d'invisible qui les touchait durement. Je m'agenouille près de l'un d'eux, l'appelant pour tenter d'avoir une réaction. Le serviteur, d'abord, ne sembla pas réagir, ne semblant pas se soucier d'avoir un Coureur d'Ombres près de lui. Puis sa vue se focalisa lentement sur moi, et il souffla simplement ces mots :
- Je suis libre.
- Libre ?
- Je ne suis plus un esclave de la lumière. Je peux penser par moi-même, et juger tout le mal que j'ai fait...
Je réalise alors brutalement ce qui s'est passé, et, choqué, regarde la plaine couverte de corps à perte de vue, serviteurs et princes mêlés.
- Oh, par l'Œuf Primordial...
C'était totalement inattendu, et tellement porteur de lourdes conséquences que j'en avais le vertige.
- Vous êtes libres. Vous êtes tous libres !
Peu à peu, ils se relevèrent, décidant au bout d'un moment de se mettre en marche vers la tour où nous percevions une présence humaine. Nous les avons accompagnés, en une marche silencieuse, où chacun était plongé dans ses pensées. Et moi, pas moins qu'eux. Oh, bon sang. Ils devaient être pratiquement tous ici. Les puissances avaient-elles paniqué à ce point ? C'était possible, au vu du retard qu'elles avaient eu sur le petit groupe de mortels. Mais engager toutes leurs forces... non, non, ça cachait quelque chose, et je pensais deviner quoi. J'aurais préféré ne pas avoir eu cette intuition, car elle fait courir un frisson glacial le long de ma colonne vertébrale.

Mais toutes les conclusions de mon esprit mènent à ce point, et tandis que je m'avance vers mon fils, je ne sais si je dois le féliciter pour avoir libéré notre peuple, ou l'engueuler pour ne pas avoir réfléchi aux conséquences.
- Franck...
- Papa.
Les humains semblent intimidés par toute cette armée silencieuse qui les regarde avec une expression indéchiffrable. Mon fils, lui, se concentre sur moi. Je sens qu'il s'est préparé de longue date à une explication difficile avec moi.
- As-tu pensé à ce que vont faire les puissances, maintenant ?
- Elles ne vont pas pouvoir faire grand chose, avec l'Équilibre qui...
- Une nouvelle puissance qui s'ajoute à nos problèmes, comme si on n'en avait pas assez.
- Une puissance qui a libéré notre peuple.
- Peut-être pour mieux nous asservir...
- Je ne sais pas, je crois que celle-ci est différente.
- Oh, vraiment ? Parce qu'elle ne s'est pas servie de vous pour atteindre son but, peut-être ? Parce qu'elle n'a pas sacrifié les six mondes pour l'atteindre, ce but ?
- Quoi ?
- Que vont faire les puissances, à ton avis, sinon concentrer toutes leurs forces sur les six mondes, qui représentent le plus grave danger de toute leur existence ? Tu crois que les princes et serviteurs étaient tout ce qu'ils avaient ? S'ils les ont tous envoyé ici, c'est qu'ils étaient moins importants qu'ils en avaient l'air, et qu'ils avaient mieux en réserve. Ils vont frapper brutalement, et pas pour conquérir, mais pour détruire.
- L'Équilibre...
- ...ne se soucie pas du destin d'une poignée de mondes, tout ce qui le concerne, c'est la balance du multivers, la vision d'ensemble.
- Je serai là, dit une voix.
- Oui, en dit une autre. Nous avons une dette envers ces mondes.
Une clameur monte des rangs des anciens esclaves, vibrant de rage et de détermination, avide de vengeance contre leurs anciens maîtres. Je les comprends. Dans nos veines court avant toute chose la soif de liberté, et ils ont été spoliés de leur nature la plus profonde pendant des millénaires. La colère de milliers de dragons peut glacer même le sang des dieux.
- Merci... mais nous avons encore une tâche à accomplir pour protéger définitivement les milliards de mondes du multivers. Nous devons retourner les sceaux et les puissances seront fortement limitées, comme cela aurait dû être.
- Vous voulez dire que vous n'avez pas encore libéré l'Équilibre ? Alors... Franck, je t'en prie, une bonne puissance est une puissance emprisonnée. N'ajoutons pas à nos problèmes, nous...

Une main se pose sur mon épaule, et je me retourne pour constater que tous les dragons se sont rapprochés. De moi. Ils ne disent pas un mot, mais ils me fixent tous.
- D'accord. Je vois. J'ai beau tenir à mes principes, je ne suis pas suicidaire, et je ne ferais pas une bêtise aussi tragique juste sous les yeux de mon fils. Mais ça me surprend qu'à peine libérés de la volonté d'une puissance, vous désiriez en libérer une autre. Avec tous les risques que ça comporte. Êtes-vous sûr que vous n'êtes pas sous influence ?
Ils se regardent, hésitent, et je pense avoir gagné, mais l'un d'eux s'avance, et se met face aux autres.
- Je contredis cette assertion en m'opposant farouchement à la libération de l'Équilibre. Les paroles de notre cousin ne sont pas dénuées de sagesse. Prenons le temps de la réflexion. Faisons des recherches sur le lointain passé où cette puissance était libre.
- Mais cela implique de laisser les puissances avoir leur plein potentiel, si nous ne retournons pas les sceaux, dit l'un d'eux.
- C'est vrai... mais c'est l'occasion de retrouver notre honneur. Avons-nous besoin d'une puissance pour nous tenir la main, encore une fois ?
- NON !
Titiller l'honneur des dragons, il n'y a que ça de vrai. Bien joué, bonhomme.
- Je suis content de vous retrouver, mes frères, dis-je.
- Nous devons libérer ceux qui restent, dit l'un d'eux. Les reproducteurs, les œufs... il est hors de question de laisser un seul d'entre nous sous leur influence. Sans parler que sinon, tout recommencera.
- Oui, nous avons bien des choses à faire, et il est temps de s'organiser, avant de nous engager dans cette guerre qui va embraser tout le multivers.

Monde-prison de Syebhian

Le dispositif de Chrystal était paré. Deux lames, une de lumière et une de ténèbres, y étaient enchâssées afin de fournir une énergie de l'équilibre, en résonance avec le sceau qu'ils voulaient détruire. Les deux chefs d'équipe donnèrent le feu vert. Le projet attendait depuis très, très longtemps, aucune des puissances n'ayant jusqu'ici trouvé une bonne raison de s'allier à l'autre pour ouvrir les portes de l'enfer en grand et libérer l'horreur sur le multivers. Mais aujourd'hui...
L'appareil bourdonna, une vibration aiguë émana de l'ensemble de l'immense pièce. Le sarcophage, d'une taille telle que les dragons passaient pour des nains en comparaison, crépita d'éclairs rouges et bleus, le sceau lutta vaillamment mais son énergie devenait de plus en plus instable. Il explosa brusquement, et la salle plongea dans le silence. Tout le monde retint son souffle. Le sarcophage s'ouvrit, révélant l'être dont le nom faisait frémir jusqu'aux plus grands esprits.
Le titan ouvrit les yeux et attendit les ordres. Les dragons lancèrent des cris de joie. Les deux chefs prirent le cristal de contrôle et lancèrent une série d'instructions complexes : des coordonnées planaires. Puis vint un ordre simple, évident, et terriblement nécessaire :
- Détruis les six mondes !