Sur une phrasette donnée par un ami.
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Le Pied gauche
— Et merde ! dit Simon, tout haut, en frottant bien son pied sur le bord du trottoir pour débarrasser sa semelle de ce qu'il est convenu d'appeler une déjection canine.
— Ah, ça, vous ne l'avez pas ratée, entendit-il dans son dos...
— Oh, ça va ! grommela-t-il sans regarder l'importun.
— D'un autre côté, c'est le pied gauche, et normalement, ça porte bonheur, vous savez ? continua la voix, jeune et douce.
Simon releva alors le nez, pour tomber sur un genre de petite chose blonde, fine et fort bien mise, et au sourire mutin, qui ajouta :
— Bon ! Y a pas mort d'homme, à ce que je vois.
— Sauf que j'ai un rencard important, là, et que si je pue la merde de chien... Ah, nom de dieu de nom de dieu, ces saloperies de clébards !
— Un entretien d'embauche ?
— Ah !... Euh... Oui, on pourrait presque dire ça... fit Simon, soudain détendu. Saloperie !
— J'habite là : tu veux venir laver ta godasse ? Y en a pour cinq minutes.
Simon regarda sa montre.
— Oh, je... Non, c'est gentil, mais...
— Important, ce rencard ? Avec la merde de chien ? Viens !
Désarmé, Simon suivit le garçon, qui effectivement logeait tout près, dans un bel appartement à la fois meublé avec classe... et bordélique, regorgeant de livres, de disques, de gravures et d'objets de toutes sortes.
Le garçon, Nicolas, s'occupa avec célérité de la godasse à Simon, et même il donna un bon coup de brosse à reluire à la paire...
— Bon ! Comme ça ça devrait aller ! Et... sans indiscrétion... c'est quoi, ce rencard ?
— Oh, je... un truc perso... et bizarre. Faut que j'y aille, là !
— On se donne nos numéros ?... Et on se cause... si tu veux ?
— Oh...
Simon fila donc à son rencard... débarrassé des déjections canines sus-nommées. Il en ressortit longtemps plus tard... le lendemain matin, un samedi. Or la première chose qui lui vint à l'esprit fut le fin visage de celui qui lui avait sauvé la mise... Nicolas, donc. Qu'il n'osa appeler, évidemment.
Son excellente éducation, comme sa morale personnelle, lui ordonnaient de remercier ce généreux jeune homme, mais... les circonstances n'étaient pas d'une simplicité édénique.
Et ce fut avec soulagement que ce jeune homme reçut, peu après midi, un appel : Nicolas.
— Ohé ! Alors, ce mariage ? Ça roule, ou tu restes célibataire encore quinze jours ?
— Ah ! Oh... Te moque pas. C'est pas simple.
— Tu viens me voir tout de suite ? Si t'as pas encore déjeuné, on pique-nique comme de vrais petits louveteaux sur le tapis du salon, tu veux ?
— T'es... Oh ! T'es fou, toi... susurra Simon.
— Donc, c'est oui.
Simon courut chez Nicolas. Qui le reçut en un costume de petit marin avec bermuda, tel qu'on en affublait les moutards en 1900... Il dut sourire, car ce mec était... Bref, il sourit.
Nicolas fut la classe même, qui avait sorti le cristal, et qui servit du champagne, avec des petits fours chauds de haute qualité. Son fin babil enivra bientôt Simon aussi sûrement que le champagne, et mis en confiance, il finit par parler.
— J'avais rendez-vous avec la fille de mon patron. Je suis en stage, et j'attends son verdict, c'est tout.
— Celui du père, ou celui de la fille ?
— Oh ! Le patron est sympa, et je le vois pas mettre sa fille au turf pour embaucher ! C'est quand même pas un maquereau !
— Bon ! Alors qu'est-ce que tu risques ? Tu l'a pas satisfaite, si tant est que c'était le but ?
— Si, apparemment.
— Alors tu te calmes, t'attends lundi, et voilà tout !
Simon sourit tristement. Relevant les yeux vers ceux de Nicolas, il ne put réprimer un frisson, qui n'échappa pas au garçon :
— Est-ce que... il y a autre chose ?
— Ben... Tu sais pas tout, souffla Simon en rebaissant le nez.
— Alors si c'est une entreprise pédophileuse, ou terroristique... ou même de la fausse monnaie, je veux rien savoir ! La guillotine, c'est pas pour moi !
Simon dut se redresser, et sourire :
— Non, tu risques pas même perpète ! C'est tellement con...
— La connerie est souvent proche de la corde, sentença Nicolas, d'un air tragi-comique qui fit pouffer Simon.
— Te bile pas, va... Voilà : en fait, je t'ai pas tout dit. Plusieurs collègues m'ont dit qu'elle en pinçait sévère pour moi... et qu'elle avait tout pouvoir sur son père.
— Ha ! Et tu voudrais le poste... sans la fille, hein ? — Simon opina, penaud. Bon ! Faut aviser, et agir.
Simon sourit : le ton de ce garçon qu'il ne connaissait mie le toucha. Et Nicolas continua :
— Tu me fais penser au père Bach qui a traversé la moitié de l'Allemagne à pied pour aller entendre Buxtehude à Lübeck et guigner sa succession... sous condition d'épouser sa fille... Il s'est barré la nuit en courant, tant elle était moche !
— Ah ! Ah ! Ah ! Je suis pas le père Bach ! Mais y a d'ça... Elle est pas horrible, la Marie-Solange, mais elle m'inspire pas du tout !
— Marie-Solange ? C'est rare, ce prénom. C'est pas Marie-Solange Gloupajon, quand même ?
— Hein ? Mais si !
— Aaaah ! Mais, mais... bêla le joli Nicolas, c'est mon oncle, et ma cousine !
— Ah !
On se regarda, interdit. Puis Nicolas éclata de rire :
— Oh, après tout, c'est pas mes affaires ! C'est comique, tout au plus ! Et je te demanderai pas de détails sur les prouesses de ma cousine... dont je peux t'avouer que j'ai refusé les avances.
Simon sourit et se lança :
— Sans être une beauté, elle ne manque pas d'entrain, cependant...
— Oui... l'entrain des équipages, comme on dit dans l'armée ! Et pour rester dans le militaire, elle me fait plus l'effet d'une fille à soldats que d'une pucelle de la Légion d'Honneur !
— Oh, comme tu y vas.... Ta cousine ! pouffa Simon.
On glosa encore un peu sur la Marie-Solange, tout en se grisant au champagne. Soudain, Simon redevint grave :
— En tout, cas, je suis mal barré chez Gloupajon & Fille !
— Si tu veux, je lui parlerai pour toi : l'oncle Paul est tout sauf un méchant homme, même s'il ferme trop souvent sa gueule devant sa fille. et il m'a à la bonne. On se voit justement en famille ce soir.
— Oh... Je te demande rien, évidemment, mais c'est gentil ?
C'est joliment pété qu'il quitta son nouvel ami, Simon ! Sur son lit, il rêvassait... lentement, quand il fut appelé par Marie-Solange... une fois, puis deux. Il céda à la troisième, mais ne promit rien à la donzelle, qui semblait n'en vouloir.
Encore qu'il se fût trouvé très moyen sur ce coup-là, la Marie-Solange en revoulait, vraiment. Il réussit à temporiser. Mais comme vous savez, elle était de réunion de famille ce samedi soir... avec le gentil Nicolas, donc.
Et Simon cuva gentiment son champagne tout seul.
Onze heures, dimanche : Nicolas.
— Si je te réveille pas, j'ai une petite nouvelle : j'ai parlé au tonton Paul, qui m'a écouté sérieusement. Je t'ai présenté comme un ami de lycée récemment retrouvé. Et j'ai dit du bien de toi... beaucoup.
— Oh, Nicolas, t'étais pas obligé... susurra Simon, gêné.
— Tu viendrais bruncher, là ?
Simon accepta, juste avant d'être appelé par Marie-Solange... à qui il refusa poliment tout entretien immédiat.
Il trouva un Nicolas assez excité, qui précisa :
— En douce, j'ai été travaillé au corps par la cousine, qui voulait tout savoir sur toi... J'ai dû inventer de pieuses légendes... Bon, pas de café, hein ? J'ai un excellent crémant de Jura, et des p'tits fours tout ce qu'il y a de plus civilisés !
On trinqua donc, et Nicolas reprit :
— Tu sais pas ce qu'elle a eu culot de me demander ? C'est si, au lycée, on avait fait des trucs ensemble, ou avec d'autres...
— Hein ? Mais t'as dit quoi ? fit Simon, soudain paniqué.
— Que non, mais que j'aurais bien aimé...
— Ah !
— T'affole pas ! Ça l'a fait sourire... et ça m'a permis de lui en demander autant... Elle a pas voulu répondre, mais sa gêne m'a donné à penser que c'était oui. Mais on s'en fout : ça arrive à pas mal de monde, et ça préjuge pas de la suite.
— Mais... pourquoi t'as dit que... t'aurais bien aimé ?
— Ben... fit Nicolas en plantant ses jolis yeux bleus en ceux de Simon, parce que... on n'a plus l'âge du lycée, mais t'es super mignon... J'te choque ?
— Ben... Euh... Non, non, mais...
— Me dis pas qu'on te l'avait jamais dit ! Et au fait... t'en as fait, des trucs, au bahut ?
Simon prit une belle lampée de bulles et regarda ailleurs.
— Si, on me l'a dit, que... tu vois. Et oui, ça m'est arrivé de... comme t'imagines. Quelques fois seulement...
— Et dire que j'ai raté ça !
— On n'était pas dans le même bahut... objecta Simon, obligé de sourire.
— Mais là, on est dans le même salon...
Silence gêné ; on reprit une longue gorgée, et Nicolas resservit, sans croiser le regard d'un Simon qui gambergeait un peu vite : il se demanda alors si pour avoir le poste, il ne vaudrait pas mieux se faire le neveu que la fille du patron...
D'autant que ce mec était extrêmement charmant, et qu'il était assez parti pour penser que l'occasion était là... à portée de main. Bref, il fit le gros effort de tourner la tête vers Nicolas, qui lui souriait avec une gueule d'ange... Il tendit sa flûte pour trinquer et murmura :
— Si ça te fait plaisir... ben... ouais !
Nouvelle gorgée, et l'on posa le cristal. Il faisait un temps superbe, et l'on était vêtu légèrement. Nicolas premier ôta ses voiles, et Simon découvrit une sorte d'elfe, à l'exact opposé des joyeuses rondeurs de sa cousine. Dans sa finesse comme dans sa manifeste inexpérience, ce garçon l'émut, et il lui emboîta le pas, décidé à ne pas reculer...
Ce fut en se regardant la quéquette qu'on s'entreprit chacun soi-même. Nicolas finit par souffler :
— T'es vraiment beau, tu sais ?
Simon lui tendit une main, que le garçon saisit, et il posa la longue et délicate menotte de Nicolas sur sa tige qui, à sa surprise avait crû presque d'un seul coup. Alors qu'apparemment, c'était l 'autre qui était gay... et qui ne bandait encore qu'à moitié, tout intimidé qu'il paraissait.
Mais l'objet qu'il détenait là était de première grandeur, songea un Simon peu habitué à ces choses ! Et Nicolas de lui faire signe de lui prendre aussi le kiki... Première, pour Simon ! Qui sentit le beau vit grandir entre ses mains, à sa surprise amusée... et quelle splendeur ne tint-il pas alors !
Comme l'avait supposé Simon, le garçon ne tarda pas à affirmer sa vocation, et il eut vite les idées amusantes qui plaisent en société... Après tout, puisque c'était lui, le demandeur, à lui de prendre la main ! pensa Simon : il ne fut pas déçu.
Car il eût dit que ce fin jeune homme venait de recevoir une révélation ! L'entrain d'abord maladroit et touchant de Nicolas ne tarda guère en effet à se transformer en une sorte de tourbillon de sensualité vive et légère à la fois qui, au-delà des bulles, sembla transformer Nicolas... et Simon aussi.
Simon qui finit par sombrer sous ces vagues de tendresse, et il ne lui fallut pas des quarts d'heures de résistance pour qu'il acceptât la langue fraîche et fureteuse de Nicolas en sa propre bouche... Avant d'y happer le beau chibre.
Intense moment que ce soixante-neuf fiévreux ! In fine, on se déversa chacun sur le museau de l'autre, avant de se lécher, puis de s'embrasser fougueusement derechef !
La douche fut tendre, oui-da ! Et Simon fut incapable de refuser de rester pour le reste du dimanche... et la nuit.
— Est-ce que... Marie-Solange sait que tu es... gay ? demanda Simon alors que Nicolas se disposait à l'accompagner au boulot, le lundi matin.
— À ouïr les allusions, je pense que toute la famille le sait... mais nul n'en cause. Ça t'embête que je t'accompagne ?
— Ben... — Simon réfléchit à toute vitesse — ...elle va vite faire le rapprochement...
— Justement : même si c'est pas vrai, ça te débarrasse d'elle de la belle façon ! Après, à toi de savoir ce que tu fais de la rumeur que cette drôlesse ne manquera pas de répandre...
— Ah !
— T'emballe pas : je serai là, le cas échéant, et je dirai ce que tu voudras.
Désorienté par ce curieux avenir, Simon accepta tout de même la venue de Nicolas. Or à l'entrée de la boîte, on tomba sur le patron, qui fit, tout sourire :
— Tiens ! Mon futur collaborateur, et mon neveu... bras dessus, bras dessous, ou quasiment !
— Tonton Paul ! Te moque pas !
— Nullement, mon neveu ! Et, prenant Nicolas par l'épaule : t'as réussi à griller la priorité à ta cousine ?
Ceci pas assez loin pour que Simon ne l'entendît pas.
— Oh ! Tonton !
— J'te laisse te débrouiller avec elle, ah ! ah !
Nicolas prit alors Simon par les épaules et lui donna deux bises appuyées, lui soufflant à l'oreille :
— Tout va bien se passer !
— Oh ! fit alors une grosse voix — celle de Marie-Solange. Je vois que les retrouvailles ont eu du bon !
— Venez, Simon, on a du boulot ! coupa le patron, ajoutant dans le couloir : je ne me mêle pas des querelles d'amoureux, et ce n'est d'ailleurs pas l'endroit. Rassurez-vous, ce ne sont pas vos liens avec ma famille qui me motivent, mais vos talents ! Et puis, entre nous, je vous voyais mal venir à bout de ma fille... Tandis qu'avec mon neveu, vous serez parfait !
— Oh, Monsieur !
— Chut ! C'est votre vie, et je la souhaite heureuse... avec cet amour de Nicolas !
Sidéré, Simon passa sa journée à réfléchir dans tous les sens... Il n'eut aucun contact avec Nicolas jusqu'au soir, où ce garçon vint le prendre au boulot. L'explication avec Marie-Solange avait été rude, mais victorieuse. Nicolas conclut doucement :
— T'as le boulot, sans la fille du patron... Tu es libre !
— Peut-être pas tant que ça... fit niaisement Simon.
— Simon ? Tu veux dire que tu...
— Nicolas... Je veux dire que... nous.
Et Simon bénit les dieux d'avoir utilisé son pied gauche pour...
17. II. 2025
Amitiés de Louklouk !