CHAPITRE LXX
''Noli me tangere''
Mais Burydan eut à ''composer'' aussi avec la milicie. Ou plutôt avec certains miliciens. La plupart de ces hommes étaient de bons serviteurs du Duc, ni trop zélés, ni trop laxistes. Aragorn et Bratac, par exemple. Mais d'autres s'étaient laisser aller à la paresse et surtout à la corruption.
Un de ses informateurs, Domus, en avait fait les frais. C'était un homme bon. Il adorait sa jeune femme et chérissait ses cinq enfants, et travaillait dur pour les nourrir. Domus livrait des fruits et légumes dans toutes les demeures de sa ville, Sicaria, qui se trouvait à une quarantaine de lieux de Ank'Arat. C'est d'ailleurs pour ça que Burydan l'avait pris comme informateur. Il entrait dans toutes les maisons, discutait avec les domestiques et collectait une foule d'informations.
Domus, après son travail, allait boire de temps à autre un godet ou deux dans une taverne. Un soir, un petit hobereau aviné le provoqua. Domus, pas malhabile de ses poings, l'envoya mordre la poussière et lui brisa deux côtes et son amour propre. Le père du jeune crétin, ulcéré de voir un roturier bafouer ainsi l'honneur de son rejeton, porta plainte auprès de la milice.
Une enquête fut rondement menée et, malgré les témoignages disant tous que c'était le petit imbécile qui avait provoqué Domus, celui-ci fut arrêté, le père ayant payé le chef de la milice pour être sûr que Domus serait châtié, du moins c'est ce qui se murmurait dans tout Sicaria.
Domus sortit son médaillon, montrant qu'il était un protégé d'un chasseur de prime du Duc, mais le chef de la milice passa outre et, dans la journée, après un procès expéditif, Domus fut pendu.
Burydan l'apprit trois jours plus tard. Il galopa jusqu'à Sicaria. Il s'informa de l'affaire et prit rapidement une décision : il allait venger Domus.
Il y avait trois raisons pour cela : d'abord, vu tous les témoignages qu'il avait recueillit, Domus s'était juste défendu. Ensuite, si ses informateurs apprenaient que sa protection ne valait rien, ça lui causerait quelques soucis.
Et enfin, il aimait bien Domus.
Il fit irruption dans le poste de la milice, l'épée à la main et les yeux brillants de rage.
- Je suis Burydan de Malkchour ! Où est le chef ?!
Les miliciens restèrent interdits. Ils hésitèrent à saisir leurs armes, mais ils connaissaient la réputation du chasseur de prime. Un d'eux, en tremblant, désigna le bureau où se terrait le chef. Burydan défonça la porte et vit Anthrax, trémulant et pâle comme un linge.
- Qu'est-ce que... qui es... qu...
- Chien, tu as tué un de mes informateurs... combien t'as payé ce petit nobliau de merde, hein, combien ?!
- Je... je...
Burydan lui décocha un formidable coup de poing dans la mâchoire. Anthrax tomba au sol. Burydan l'attrapa par les cheveux et le traîna dehors. Anthrax, hurlant de douleur, tenta de se relever, mais Burydan le frappa de nouveau. Il avisa un des chevaux des miliciens. Il prit une corde, attacha un bras et une jambe du chef à la selle du cheval et mit une grande claque sur sa croupe. Le cheval hennit et partit au galop, traînant Anthrax derrière lui. Il hurlait, et plus il hurlait, plus le cheval galopait vite.
On retrouva l'animal deux jours plus tard à plusieurs lieux de Sicaria. Il broutait un carré herbeux et avait toujours le corps d'Anthrax attaché à sa selle. Enfin, ce qui restait du corps. Traîné ainsi sur plusieurs lieux, il manquait pas mal de morceaux.
Le Duc fut informé de l'affaire, et s'en moqua.
- Si Malkchour a fait ça, c'est qu'il avait de bonnes raisons... dit-il.
Connaissant le réseau d'espions de Galbatorix, il devait sans doute connaître les tenants et les aboutissants de l'affaire.
Burydan n'en resta pas là. Il défonça la porte du manoir du nobliau, assomma les quelques serviteurs qui se mirent en travers de son chemin, roua de coups le père puis le fils, arracha la chemise de ce denier et, de la pointe effilée de sa dague, traça dans la chair de sa poitrine ''ordure''.
Il retourna chez Domus, mit un genou à terre et, en baissant la tête humblement, demanda pardon à sa femme et à ses enfants.
- Merci, dit Sahra en lui caressant la joue, merci d'avoir vengé Domus. Il vous respectait énormément, vous savez.
- Et c'était réciproque. Je vous enverrai une pension de cent lunars par mois. Je ne voudrais pas que vous et vos enfants vous retrouviez dans la misère. Et je donnerai une dote de 1000 lunars à chacun de vos enfants lorsqu'ils voudront se marier.
Burydan prit congé sous les remerciements de la femme de son informateur et de ses enfants.
La nouvelle de la mort d'Anthrax, et surtout de la manière dont il était mort, fit le tour des postes de la milice de tout Brittania, avec quelques variantes. Ainsi, plus aucun informateur de Burydan n'eut craindre les miliciens, ceux-ci allant même jusqu'à s'excuser quand ils en arrêtaient un.