26-07-2020, 06:34 PM
CHAPITRE XVIII
''Cantabit vaccus coram latrone viator''
Burydan avait faim et froid. L'automne venait de s'installer. Il chaparda bien quelques fruits, mais ça ne le nourrissait pas. Et, tous les soirs, il s'enroulait dans la couverture qui avait accueillie ses ébats avec Nathanaël, et grelottait jusqu'au petit matin.
Il arriva enfin sur une route pavée. Au bout de quelques lieux, il arriva à un carrefour. Deux panneaux indiquaient sans doute les villes les plus proches, mais Burydan ne savait pas lire. Il hésita puis pris à gauche, au hasard.
Il entendit le bruit d'un chariot derrière lui. L'attelage s'arrêta à sa hauteur et un homme dans la cinquantaine, avec une grosse moustache touffue et la face rougeaude, le héla :
- Salut gamin. Qu'est-ce que tu fais là de si bon matin et par un froid pareil ?
Burydan ne répondit pas.
- Bon, après tout, ce ne sont pas mes affaires. Tu veux que je te dépose quelque part ? Où tu vas ?
- N'importe où...
- Ça tombe bien, dit l'homme en riant, c'est sur mon chemin. Allez, grimpe.
Burydan monta et s'assit à côté du moustachu.
- Merci m'sieur
- De rien petit. Et appelle moi Rody...
Il agita les rênes et son gaidaro reprit son pas lent. Burydan regarda sur le plateau du chariot et vit des fromages frais et des fruits. La salive lui monta à la bouche. Rody le remarqua.
- Tu as faim ?
- Oh oui m'sieur...
- Rody... sers toi, je ne suis pas à un fromage près.
Burydan ne se le fit pas dire deux fois. Il happa un petit fromage.
- Prends quelques fruits aussi.
Burydan prit trois pirums
- Et regarda dans ce sac, il y a une bonne miche de pain frais.
Couteau en main, Burydan commença à manger.
- Je vais au marché de Pandora, dit Rody.
Burydan ne connaissait pas Pandora, et se demanda combien de lieux il avait déjà parcouru depuis que Darren...
- ...d'habitude mon fainéant de fils m'accompagne, mais il s'est cassé le poignet. Je le soupçonne d'avoir fait exprès pour ne pas accompagner son vieux père, dit Rody en souriant. Mais heureusement, tu es là...
- Pourquoi ''heureusement'' ?
- Parce que en échange de mes fromages, de mes fruits et de mon pain, je veux quelque chose de ta part...
Burydan se raidit et attendit.
- Que tu m'écoutes radoter... dit l'homme en riant.
Et, en effet, c'était un véritable moulin à paroles. Durant le trajet, Burydan apprit que Rody était marié depuis 30 ans, avait eu trois enfants, deux filles, déjà mariées, et son ''fainéant de fils''. Il cultivait des fruits et des légumes, et élevait des yagis (1), utilisant leur lait pour faire ses fromages, qui étaient délicieux. Et il allait vendre ses produits, une fois par semaine, au marché de Pandora.
Ils arrivèrent enfin à destination.
- C'est ici que je m'arrête, petit.
Burydan descendit et remercia de nouveau Rody. Il allait partir puis se ravisa.
- Vous voulez que je vous aide à monter votre étal ? Je vous dois bien ça...
- Pourquoi pas, mes pauvres vieux os t'en seront reconnaissants...
Burydan aida donc Rody et l'étal fut monté et achalandé en un tournemain. Rody prit un torchon propre et y mit deux petits fromages et quelques fruits.
- Tiens gamin, pour le coup de main.
- Non, ce n'est pas la peine, c'était pour le bout de chemin et le reste, enfin le fromage et les fruits, je veux dire, et même la conversation, et...
- Et, le coupa Rody, un cadeau, ça na se refuse pas. Et puis c'est pas grand chose, alors prends...
Burydan prit donc et remercia Rody. Il déambulait dans le marché quand une femme le héla :
- Hé, petit !
Burydan la regarda. Elle était vieille... mais vieille... tellement vieille qu'elle avait dû être camarade de jeux avec Carlus Magnus.
- Dis moi, j'ai vu que tu as aidé le vieux Rody à monter son étal, tu ne me donnerais pas à moi aussi un coup de main ? Mon vaunéant de neveu s'est encore dérobé...
- Bien sûr m'dame...
Burydan l'aida donc. Elle vendait des colifichets et, pour remercier Burydan, elle lui glissa quelques pièces.
Burydan aida d'autres marchands et se retrouva avec de quoi manger et quelques deniers. Il passa devant un marchand de peaux et s’arrêta. Il lui manquait une outre. Il y en avait une en vente, mais à dix deniers. Burydan barguigna âprement et l'obtint à cinq deniers. Il acheta également, pour un denier, un allume feu, et, pour un denier également, une petite canne à pêche, avec fil et hameçon, se rappelant du vieil adage utopien :
Donne un sakana (2) à un homme, tu le nourriras pour un jour, apprends lui à pêcher, tu le nourriras pour toujours.
Il sortit de Pandora, s'assit au pied d'un arbre au bord de la rivière, alluma un feu et mangea de bon appétit. Il se dit que des marchés, il devait y en avoir dans tous les villages où menait la route, et que, en vendant la force de ses bras, il pourrait sans doute manger à sa faim. Et c'est ce qu'il fit pendant plusieurs semaines, allant de village en village, mangeant ce qu'on lui donnait et dormant où il pouvait.
(1) Yagi : Mammifère ruminant grimpeur et sauteur, aux nombreuses races sauvages et domestiques, que l'on élève pour son lait, sa viande, quelquefois pour sa toison. (Le mot désigne exclusivement la femelle, dont le mâle est le Yago.). Très semblable à la chèvre.
(2) Sakana : Vertébré aquatique, respirant toute sa vie au moyen de branchies et pourvu de nageoires locomotrices. Très semblable au poisson.