Récits érotiques - Slygame
Une chanson, une histoire - Version imprimable

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Une chanson, une histoire - lelivredejeremie - 19-04-2025

Sur le forum revebebe.free.fr, un défi a demandé d'écrire une petite histoire basée sur une chanson ou son interprète, mais sans en donner le titre ni le nom, seulement quelques indices ou allusions. Sans avoir une très grande connaissance de la chanson française, j'y ai joué... 



Marrant, comme le temps semble s’être arrêté pour certains, la déco ancienne, l’eau de toilette vieillotte dont il s’asperge, probablement à mon attention, la musique d’avant-guerre… Celle du Golfe, je veux dire.
 
Comme un message vraiment pas si subliminal que ça, parmi l’amoncellement de clichés de la gloire passée d’une star oubliée d’Hollywood, rien que lors de mes quatre derniers passages, j’ai vu la photo encadrée passer à l’avant de la collection sur la crédence de l’entrée, puis sur le buffet, avant de voler jusqu’au piano, pour atterrir aujourd’hui sur la table basse du salon.
 
- Encore un instant, Léonard…" ai-je murmuré en finissant de remplacer la sonde de sa stomie, et de scotcher la poche à sa cuisse. "Et voilà, vous êtes à nouveau entièrement fonctionnel !"
- Ne te moque pas, vilain garçon, mes belles années, que dis-je, mes années fôôôlles sont derrière moi, mais tu si tu m’avais connu il y a encore trente ans…
- Bah, vous êtes reparti pour trente de plus, voyons" ai-je appuyé d’un clin d’œil.
- Rigoureusement impensable, mais soit, j’accepte mon sort, celui qui a vécu par l’épée…
- Métaphore douteuse, Léonard, même pour vous.
- Soit, une citation de Céline, alors, tout se paie, le bien comme le mal, le bien c’est forcément plus cher, a-t-il tranché, ‘’et avec tout le bien qu’on m’a fait…’’  
- Epargnez-moi les détails, s’il vous plait.
- Roooh, vous les hétéros, vous ne savez pas rire, mais toi qui es infirmier, Jérémie, les blagues olé-olé, le pipi-caca… Non, vraiment ?
 
Pour dévier la conversation, j’ai porté le regard sur les détails de la photo, une robe horrible - dont le motif rappelle celui de la toile cirée de la table de cuisine de Mamy - une choucroute blonde à la Dolly Parton, un maquillage outrancier qui ne cachait pas du tout les traits… J’ai pourtant demandé avec toute l’innocence du monde "Une amie à vous ?"
Ses yeux ont brillé et son sourire s’est étendu.
 
- Mais c’est mouaaa ! Enfin, du temps que j’étais belle… Elle a été prise dans un bar du Marais, à Paris, désormais l’une de ces prétentieuses galeries d’art, mais soit ! J’avais un numéro très spécial qui finissait en nu intégral, et dans la salle, les mâles n’en croyaient pas leurs yeux ! Mais cette robe, mooon dieeeu ! outre les nombreuses reprises aux coutures vraiment trèèès sollicitées, tu l’imagines, m’avait demandé deux semaines pour la réaliser, ♫ à la machi-iii-ineuh ♪ comme bêlait le petit Charles, enfin, si tu vois qui je veux dire.
- Euh… C’est le prénom de mon… colocataire, et il est bien un peu plus petit que moi, mais j’ai exigé qu’il ne chante jamais, ma seule condition à une cohabitation harmonieuse, donc ça ne doit pas être lui.
- Tu aurais dé-tes-té la partager avec moi, je chantais toute la journée dans le vieil appartement rue Sarasate que je partageais avec maman et deux canaris, qui avaient d’ailleurs très vite renoncé à me faire concurrence. Enfin, c’est-à-dire, dès que je m’éveillais, après qu’on avait mangé à trois heures du matin entre copains de tous les sexes… donc vers midi.
- Eh bien, c’était la belle vie, un peu de couture, la fête... Je suis sur la route depuis que j’ai posé mon premier soin de la journée à sept heures, ce matin, et vous n’êtes que mon quatrième patient.
- Disons que c’était une autre époque, mon garçon, j’étais cigale, j’ai chanté, et maintenant que je suis arrivé à l’hiver de ma vie, je me trouve bien dépourvu.
Mon regard a fait le tout de la pièce décorée de meubles de style et d’objets délicats, avant de le ramener sur lui, un sourcil relevé.
- Tu sembles… dubit…a…tif… Hahaha ! Non, ne t’inquiète pas, je ne développerai pas plus, je sais ce que ceux comme toi pensent de ceux comme moi, et de mes jeux de mots, aussi douteux que ma personne.
- Je ne juge pas, Léonard, je vous connais peu, et vous ne savez rien de moi, ne le faites pas non plus.
- C’est vrai, je suis injuste, tu me sembles être l’un de ceux qui tentent de rendre le monde légèrement plus beau, d’autres doivent te le dire. Et je ne faisais pas référence à ce bric-à-brac, dont je suis pourtant assez fier, j’aime à croire que je suis un peu décorateur, un peu styliste… Hmm… le retour du sourcil perplexe.
- Vraiment pas.
- Mais soit, je voulais dire que je suis bien dépourvu de compagnie, j’ai perdu tant d’amis dans les sinistres années quatre-vingt, morts d’avoir trop aimé… Mal, diraient certains. Dis-moi, Jérémie, aimes-tu ?
- Je ne le dis peut-être pas assez, ai-je admis.
- C’est un crime dont j’ai également été coupable, j’ai aimé, sans jamais oser leur avouer mon doux secret, des garçons beaux comme des dieux qui passaient le plus clair de leur temps au lit des femmes, mais qui ont pourtant mis le feu à ma mémoire… Aime, et dis-le.
- Vous avez peut-être raison, Léonard.
- Il ne faut avoir que des remords, pas de regrets, je n’en ai même pas d’avoir donné ma chère machine à la Vietnamienne du rez-de-chaussée, qui s’en sert pour bordurer les horribles sets de table qu’elle expose aux regards sur son étal, parait-il, je n’en sais rien, je ne fais plus le marché, ni la cuisine, d’ailleurs, mais tout de même, quelle déchéance pour elle, elle avait la pédale si sensible, et pour que moi, je dise çaaa…
- Léonaaard, ce jeu de mots, sérieusement...
- J’ai osé des calembours bien plus mouillé d’acide envers des gens que j’avais dans le nez, des attardés singeant ce qu’ils croyaient être nous.
- Le monde a changé, vous le verriez de vos yeux si vous sortiez plus, au lieu de ressasser, non ?
- Je t’ennuie, toi aussi… Plus personne ne veut écouter les histoires d’un vieil homme, celle d’un temps... que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… Bon, j’arrête, je ne te séduirai pas plus de ma voix, soit ! Accepteras-tu un Lillet avant de reprendre la route ? Il doit m’en rester un fond.
- Il est dix heures du matin, là, et je ne sais même pas ce que c’est, mais j’imagine un peu.
- Tu ne… ? Mes apéritifs sont également dépassés, je suis un anachronisme. Mais je comprends, tu dois aller sauver le monde, et donc, va, je ne te hais point !
Si je connais au moins cette référence, je n’en ai rien montré, j’ai encore neuf patients à visiter pour des soins divers, je lui ai juste jeté un regard neutre, il a grimacé et a secoué la tête de dépit.
 
(***)
 
- Ça ne va pas ?" ai-je demandé à Charles en rentrant à notre appartement.
- Mon prof de socio me harcèle pour le travail de méthodologie de l’enquête, mais son thème à la con, là, inadaptation intergénérationnelle au monde actuel, c’est chiant comme la pluie, je ne trouve pas de sujet.
- Inadapt… Ecoute, j’ai peut-être une idée pour toi, mais prépare-toi au pire.
- Le pire, je le vis" a gémi Nico, pas loin d’être aussi théâtral que Léonard. "Un câlin, un gros, j’en ai besoin, Jérémie !"
 
(***)
 
Après avoir pressé le bouton de l’interphone, je l’ai entendu croasser "Oui ?"
 
- Léonard, c’est moi, Jérémie, désolé pour l’heure tardive, mais j’ai un ami qui voudrait entendre vos… euh… vos histoires d’un temps que les moins de vingt ans…
- Monte, mon garçon, je t’attends, telle Raiponce dans sa tour" a-t-il glapi, avant que la serrure n'émette son grincement.
 
(***)
 
- On a fait deux supérettes pour trouver votre foutu Lillet, ai-je dit en lui tendant la bouteille. "Voici Charles, il fait un master en journalisme, vous pourriez être son sujet de TP…" ai-je ajouté en posant un bras un peu trop complice sur les épaules de mon copain.
- Un… colocataire, hein ?" a-t-il souri.
- Vous ne savez pas grand-chose de moi, Léonard, je vous l’ai dit… Et avant que vous pensiez que je suis totalement inculte, si je ne connais pas vos chanteurs, votre dernière citation, c’est dans Le Cid.
- Je t’accordais déjà énormément de crédit, mon garçon, et tu viens encore de prendre vingt points ! Mais entrez, entrez, les garçons, que je vous initie au moins au Lillet… Et pour l’ambiance, un peu de musique de mon époque… À mon avis, elle était bien meilleure quand les chanteurs pouvaient se permettre d’être courts sur pattes, mal fagotés et laids comme le péché…